Le Liban, cet asile de fous, 1981

Mon père écoute en boucle une cassette pirate de la pièce Un long-métrage américain que Ziad Rahbani, le fils de Fairouz, a écrit et mis en scène à Beyrouth.

En s’inspirant du film Vol au-dessus d’un nid de coucou de Miloš Forman, Ziad raconte une histoire dénuée d’intrigue qui se déroule dans un hôpital psychiatrique, une métaphore du Liban, ce pays qu’il compare à un asile de fous. Ziad se moque, au beau milieu de la guerre, devant un public chrétien et musulman, fasciste et communiste, des Libanais et de lui-même. Il rit et il fait rire, bien que le pays soit au comble de l’horreur. Mon père trouve du réconfort dans ce théâtre de l’absurde et cet humour noir.

Au milieu de médecins désespérés, on suit la vie de plusieurs patients : un jeune milicien agressif et maniaque, un homme qui lève les mains et montre sa pièce d’identité dès qu’on l’interpelle, deux toxicomanes dépendants à la marijuana convaincus que seule la drogue leur permettra de vivre normalement au milieu de cette guerre, un ancien professeur de logique devenu complotiste, un intellectuel de gauche désabusé ou encore un fasciste paranoïaque chrétien qui se sent obligé d’interroger chaque personne qu’il rencontre sur sa religion et qui a une peur folle des musulmans, « les Mahmoudétes », qui chercheraient tous à chasser les chrétiens du Liban.

J’écoute en boucle cette pièce que mon père m’a fait découvrir très jeune. Dans cinquante ans, elle n’aura pas pris une ride. On trouvera ces mêmes personnages au Liban : le fasciste chrétien, le paranoïaque complotiste, l’intellectuel de gauche dépité… Quand on me demande lors de rencontres littéraires en France quelles sont mes inspirations, je réponds Ziad Rahbani. Le public et le journaliste restent généralement de marbre. Ils ne savent pas de qui je parle. Ce sont de grands moments de solitude. J’essaye ensuite tant bien que mal d’expliquer qui est Ziad, même si ses pièces ne seront probablement jamais traduites en français, et quand bien même elles le seraient, il sera impossible de retranscrire cet humour libanais et ses subtilités dans une autre langue. C’est à ce moment-là que je prends conscience du décalage avec mes confrères écrivains français de ma génération, nés en France, qui généralement, à la question des influences, citent Balzac, Laurent Gaudé ou Virginie Despentes. Mes références viennent d’ailleurs et beaucoup du monde arabe, pourtant j’ai grandi en France. J’ai alors l’impression bancale d’avoir grandi ailleurs tout en ayant grandi ici.